Un temps volé
La montre que mes parents m’ont offerte pour mes sept ans marque onze heures moins le quart. Nous sommes en pleine leçon de choses. La maîtresse nous explique la circulation de la sève dans les platanes de la cour.
J’ai envie de faire pipi. Je vais me faire gronder, j’aurais dû prendre mes précautions à la récré. Mais j’étais engagée dans une partie de gendarmes et voleurs endiablée avec Brigitte, Sophie et Christine. La cloche a sonné trop tôt.
J’attends un peu, je me dandine sur ma chaise. Je n’en peux plus. « S’il vous plaît, Madame, je peux aller aux cabinets ? » Après la remontrance attendue, elle me laisse sortir.
Je me retrouve dans les couloirs vides. Les vestes légères ont remplacé aux patères les manteaux de l’hiver. Pourvu que je ne me retrouve pas face à directrice ! Je descends l’escalier ; sur le mur sont accrochés quelques dessins de filles qui m’ont précédée dans l’école. Je ne les vois même plus. J’essaye de sauter les marches deux à deux, ce qui n’est pas possible lorsque nous descendons en rangs ; c’est interdit. Au rez-de-chaussée parvient à mes narines l’odeur du poisson frit qui se prépare pour la cantine ; c’est vrai, nous sommes vendredi. Je grimace.
La cour est envahie de ce soleil de printemps qui vous caresse sans vous brûler. Je prends mon temps, je respire. C’est un moment volé, précieux et inquiétant. Je perçois, par les fenêtres entrouvertes, la rumeur des classes studieuses. Un merle mêle son chant à leur murmure. Un rire jaillit de la fenêtre des CM2, au deuxième étage. Madame Baudin aime plaisanter avec ses élèves.
L’envie de faire pipi me presse. Je cours vers les toilettes, au fond de la cour. Personne pour me tenir la porte, je suis vraiment seule. Je me dépêche. J’ai maintenant hâte de retrouver la chaleur réconfortante de la classe, ma place à côté de Sophie, ma meilleure amie.
Je cours pour retraverser la cour et escalade les marches quatre à quatre. Arrivée au premier, je ralentis. Un dernier regard vers le ciel dégagé – ma classe ouvre sur la grisaille de l’immeuble d’en face -, je frappe à la porte vitrée, entre et regagne ma place auprès de Sophie.
Ton petit texte a réveillé pas mal de souvenirs de l’époque du bahut chez les frères (et oui j’étais dans le privé) et je pensais que j’avais moi aussi vécu plusieurs moments comme ça quand le prof te demandait d’aller faire une photocopie et que tu devais traverser toute la grande cour avec les autres classes studieuses en train de bosser et puis en d’autres occasions certainement !!! Ton texte est pour moi teinté de nostalgie moins sur le plan personnel que par le fait qu’il décrit une époque où il était inutile de vouloir “sanctuariser” l’école car elle l’était dans l’esprit de tous, élèves, parents, professeurs, pions… Je m’y sentais coupé des préoccupations des adultes, une sorte d’îlot dédié au savoir à l’abri des désordres du monde, mais pas à l’abri des vacheries de mes petits camarades…